Théâtre bar

A cheval sur le dos des oiseaux

12 › 14 mai 2020

Résidence
Céline Delbecq / Cie de la Bête Noire

Elle s’appelle Carine Bielen. Le soir, elle boit un petit verre de rouge pour dormir tranquille. Elle a un peu peur du noir, faut dire. C’est de la piquette hein, mais elle aime bien quand même. C’est vrai que l’alcool, ça fait de la misère. Elle ne cesse de le répéter. Elle ne se souvient plus comment elle a eu ce fils, Logan. Mais ce fils lui change la vie… avec lui, elle a « reçu le monde en entier » comme elle dit.

A cheval sur le dos des oiseaux raconte l’arrivée soudaine d’un nourrisson dans la vie d’une femme dite arriérée. En arrière-plan de ce texte, j’essaie de comprendre comment notre système économique et social relègue les personnes précarisées en les orientant -dès l’enfance- vers des filières handicapées. J’imagine le destin de l’une d’entre eux, Carine Bielen, entrée à 10 ans dans la case débile. Je regarde ce que ça fait dans son corps devenu adulte, dans sa langue. Parce je suis de celles et ceux qui pensent qu’un mot peut transformer une vie.

Carine Bielen n’est pas quelqu’un qui paraît, c’est quelqu’un qui est. Elle ne pense pas le monde, elle le vit. Elle ne se révolte pas, elle s’excuse. Comme la société lui a appris à le faire.

A cheval sur le dos des oiseaux cherche à s’approcher de ce que Peter Handke appelle le malheur indifférent . De Carine aussi, on pourrait dire « elle était, elle fut, elle ne fut rien ».

Résidence masquée au Théâtre Marni / A cheval sur le dos des oiseaux from Compagnie de la Bête Noire on Vimeo.

En résidence au Marni : Céline Delbecq, Véronique Dumont, Jessica Gazon
Création en avril 2021 au Rideau de Bruxelles

INTERVIEW express de Céline DELBECQ

Quelle est ton actu ?
Céline Delbecq : J’écris en ce moment A cheval sur le dos des oiseaux, un monologue pour Véronique Dumont dans le cadre de la carte blanche que j’ai reçue par Michaël Delaunoy et le Rideau de Bruxelles.
J’étais en résidence d’écriture à la Chartreuse CNES lorsque les mesures de confinement ont été prononcées. Comme tous les autres résidents, j’ai dû prendre un TGV en urgence, rentrer à la maison. Le geste d’écriture a été interrompu. Je me suis demandé si cette interruption était définitive. J’ai pensé que oui. Puis j’ai retrouvé le fil, que j’ai re-perdu. Je patauge depuis le 16 mars... Comment raconter le monde en étant coupée de lui ?

Que venez-vous faire au Marni ?
C. D. : Nous viendrons faire une lecture de ce texte en chantier A cheval sur le dos des oiseaux avec Véronique Dumont, la comédienne, et Jessica Gazon, qui me fait des retours, alimente et encourage l’écriture depuis le début (avant même que je m’y mette à vrai dire).
Ces premières lectures sont une étape importante, déterminante même, dans la construction d’un projet. C’est là qu’on commence à comprendre ce qu’on fabrique. J’avance à l’aveugle dans l’écriture, toujours. J’écris pour me perdre.

Tu nous en dis un peu plus sur ce texte, A cheval sur le dos des oiseaux ?
C. D. : C’est un texte qui raconte l’arrivée soudaine d’un nourrisson dans la vie d’une femme dite arriérée. En arrière-plan de ce texte, j’essaie de comprendre comment notre système économique et social relègue les personnes précarisées en les orientant (dès l’enfance) vers des filières handicapées. J’imagine le destin de l’une d’entre eux, Carine Bielen, entrée à 10 ans dans la case débile. Je regarde ce que ça fait dans son corps devenu adulte, dans sa langue. Parce je suis de celles et ceux qui pensent qu’un mot peut transformer une vie.
Carine Bielen n’est pas quelqu’un qui paraît, c’est quelqu’un qui est. Elle ne pense pas le monde, elle le vit. Elle ne se révolte pas, elle s’excuse. Comme la société lui a appris à le faire.
A cheval sur le dos des oiseaux, cherche à s’approcher de ce que Peter Handke appelle le malheur indifférent. De Carine Bielen aussi, on pourrait dire « elle était, elle fut, elle ne fut rien ».

C’est une carte blanche du Rideau de Bruxelles, donc ?
C.D. : Oui, on le crée là-bas en avril 2021. On ne sait pas encore comment seront les conditions sanitaires à ce moment-là, mais peu importe, on inventera et on créera ce spectacle quoi qu’il en soit. Ce que notre Ministre ignore, c’est qu’il faudrait nous abattre pour qu’on s’arrête.
Quelques partenaires confinés viennent de se joindre au projet : les Centre Culturel de Dinant, Centre Culturel de Mouscron, Atrium57 Centre culturel de Gembloux. Je m’y prends très tard pour réunir des lieux, mais je crois qu’il y en aura encore d’autres dans les jours qui viennent. On a plus que jamais besoin d’être ensemble.

As-tu eu beaucoup de projets annulés suite aux mesures gouvernementales contre le covid-19 ?
C.D. : Non. J’ai beaucoup de chance. J’ose à peine imaginer la souffrance de mes collègues et amis, qui ont préparé un spectacle pendant 2, 3, 4, 5 ans parfois et qui n’ont pas pu le créer. Ou qui ont dû le reporter.
Pour la compagnie, le plus difficile, c’est l’annulation du Festival d’Avignon, puisque nous devions y présenter Cinglée au 11·Gilgamesh. Mais ça permet aussi de réfléchir… A part ça, ce sont surtout des rendez-vous manqués :
 Évidemment cette résidence d’écriture à la Chartreuse qui a été avortée au bout d’une semaine. C’est un lieu « abri » qui compte beaucoup pour moi, dans lequel je me rends presque chaque année pour écrire.
 Je devais me rendre au Festival de théâtre d’Everan (Arménie) avec Lansman Editeur - Emile&Cie et trois autres auteurs : Leila Nabulsi, Paul Emond et Laurent Van Wetter. Certains de nos textes y sont traduits (pour ma part c’est Cinglée et L’enfant sauvage)
 Je devais travailler avec le traducteur mexicain Humberto Perez Mortera sur les traductions de l’Enfant Sauvage et Cinglée en espagnol. Il n’a évidemment pas pu prendre l’avion pour la Belgique. On a travaillé par échanges de mails.
 Le projet collectif Sorcières, le grand brasier, initié par Carole Thibaut et Laeticia Guédon devait se jouer au Théâtre des Îlets - CDN de Montluçon début juin, il a été reporté
 Je devais aussi me rendre au Mexique en fin d’année pour des mises en lecture des traductions à Querretaro, c’est annulé aussi

Comment vis-tu tout ça ?
C.D. : Les premiers jours, j’étais soulagée qu’un peu de place se fasse dans mon agenda qui était sans horizon jusqu’à 2022. Ca me rendait même joyeuse. Puis, tout est devenu plus sombre. Je veux bien que toutes les règles du jeu changent, j’aime le théâtre pour cela aussi, parce qu’il faut sans cesse s’adapter à des petites ou des grandes choses : un comédien qui se blesse, une inondation dans la salle de répétition, un coproducteur qui nous lâche au dernier moment et il faut trouver comment monter le spectacle avec 15 000 euros de moins, la livraison des LEDS toujours pas arrivée deux jours avant la première,... M’adapter au coronavirus, ça fait partie de mon boulot. Je ne monte que des spectacles qui parlent d’aujourd’hui, donc si on doit faire un spectacle avec masques, distances sociales, etc, ça me va. C’est le monde d’aujourd’hui. J’ai vu à Téhéran à quel point les artistes sont capables de faire du théâtre en inventant à partir de la censure et à quel point cette invention oblige à l’essentiel et crée une complicité avec les spectateurs. Ce qui est intenable, c’est qu’on ne nous donne aucune information. On ne nous dit rien. Ce silence tape sévèrement sur notre moral à tous. Il éteint le désir. C’est de la mort. Ca tue. Alors la perspective de venir travailler au Marni, c’est trois fois rien, c’est deux fois 4h, mais ça remet en vie...

  • Le 12 mai 2020 à 10:00
  • Le 14 mai 2020 à 10:00