Résidence danse Barjo & Cie
État des lieux émotionnel de la création Bas les Pattes
C’est toujours difficile et inhabituel pour un danseur de passer par les mots pour s’exprimer. Je m’appelle Barthélémy Manias, porteur du projet et co-créateur avec mes deux compères, Johann Fourrière et Julie Querre, de la future pièce de danse contemporaine pour enfants intitulée Bas les Pattes . Barjo&Cie est un collectif de chorégraphes créé et dirigé par Johann et moi. Julie travaille avec nous depuis quasiment le début. Elle nous a rejoint pour la reprise de notre premier spectacle jeune public Les 2 Astronautes .
Dans cette nouvelle création nous abordons le thème des émotions, de leur expression et de leur gestion au travers du langage physique et animal. l’Homme est un animal, et un animal social on le voit bien en ce moment encore plus, dont les relations sont régies par ses émotions.
Et depuis le début de cette « crise » COVID-19, nous sommes passés et passons encore par tout un tas d’émotions, plus ou moins fortes, constructives ou inhibantes. Tout a débuté pour nous au mois de mars, au studio du théâtre Marni - Bruxelles, où nous avons effectué deux semaines de travail, de recherche d’idées et de mouvements. Tout se passait bien et nous étions très contents du grand nombre de pistes que nous avons trouvées pour construire notre pièce.
Nous étions d’autant plus confiants que notre accueil studio devait directement déboucher sur une résidence à la Fabrique de Théâtre pour trois semaines. Nous aurions pu commencer à mettre en forme certaines de nos idées, les confronter à un petit public pour avoir des retours et appréhender au mieux nos temps de création prévus la saison prochaine, en évitant au maximum le rush des créations...
Le vendredi 13 mars, comme un coup de massue, nous avons reçu un coup de téléphone de la Fabrique qui nous annonçait que, suite aux décisions du gouvernement, les rassemblements étaient annulés et les théâtres devaient fermer. Le mardi suivant le confinement était annoncé. La première de nos trois semaines de résidence était annulée. Très vite, les deux semaines suivantes ont aussi été déprogrammées. Nous avons du rester enfermés chez nous.
Les premiers jours dans l’appartement n’ont pas été très productifs : nous nous sommes organisés, reposés, stressés, ennuyés...
En dehors de mon activité artistique, je suis également enseignant à Dancing Kids (P.A.R.T.S.) à Forest. L’annulation des cours était de ce fait une évidence. Rosas assure le maintien des salaires. C’est un grand soulagement. Mais au delà, le manque de transmettre et de voir mes élèves, de pouvoir échanger avec eux, leur laisser la parole, les faire penser à d’autres choses se fait sentir de plus en plus. L’école et les professeurs ont mit en place des “cours” à distance pour garder le lien et faire en sorte qu’ils continuent de s’exprimer. Je partage avec mes élèves des
vidéos de cours, des spectacles que j’ai pu voir sur internet. Maintenant on se rejoint les samedis pour se dire bonjour et clarifier les exercices. C’est toujours un plaisir de voir leurs “faces” d’ado. Je suis aussi membre du Conseil d’Administration de La RAC (Rassemblement des acteurs du secteur chorégraphique, fédération des professionnels de la danse) et depuis le début nous avons eu une dose de travail accrue pour défendre les droits de nos membres (compagnies, chorégraphes, danseurs, techniciens...) qui ont tous subis une perte d’activité et de ce fait de salaire. De bi-mensuelle, les réunions sont devenues bi-hebdomadaire. Cela a démontré l’importance de notre fédération qui a travaillé main dans la main avec les autres fédérations du spectacle vivant (CCTA, CTEJ, Aires Libres).
Et puis, sollicités différemment de d’habitude, nous avons décidé de réagir. Nous avons continué à lire des écrits en rapports avec nos préoccupations liées à notre future pièce. Nous avons répondu aux appels à projets mis en place par certaines structures comme Pierre de Lune et Charleroi Danse. Des vidéos destinées d’une part à distraire leur (et notre) public, d’autre part à nous aider un peu financièrement. En effet, même si nous sommes artistes, nous ne pouvons pas vivre seulement d’amour et d’eau fraîche, et la passion ne remplit pas le frigo ! Les membres de mon équipe ne bénéficient pas du « statut artiste ». Du coup, forcément, on se questionne et on s’inquiète pour eux. Leur proposer une petite compensation via ces appels à projet est un léger soulagement.
Nous avons donc créé pour l’occasion de courtes vidéos nous mettant en scène avec les moyens du bord et nos préoccupations du moment, mais toujours avec comme ligne directrice le travail de recherche que nous avions commencé en studio. C’est pour ça que nos vidéos comportent des situations ou des mouvements en rapports avec les sentiments et les animaux. Nous avons aussi continué à travailler sur les musiques de Camille Saint Saëns et son Carnaval Des Animaux , qui nourrissent notre bestiaire gestuel.
Un instant artistique / Johann Fourrière et Barthélémy Manias / Barjo&Cie - Camille Saint-Saëns, études 12-14 from Charleroi danse on Vimeo.
Ces capsules de travail sont gratifiantes et stimulantes pour nous. Elles nous permettent de continuer à affiner nos idées et envies en vue de la future création, mais aussi d’oublier un peu la réalité pesante. Notre vie sociale se résume un peu à comptabiliser les like que nos vidéos rapportent. Nous ne pouvons convenablement faire le deuil des proches que nous avons perdus, de mon grand-père disparu. Mais nous devons malgré tout rédiger des budgets prévisionnels, déposer des dossiers et des demandes de subsides virtuels auprès d’institutions en prévision d’une prochaine saison qui, tout le monde veut y croire, sera revenue (à peu près) à la normale.
Alors émotionnellement parlant, oui évidemment nous passons par des hauts et des bas. Nous sommes heureux de faire des apéros-vidéos avec nos amis et la famille, de leur parler de notre projet sur le langage et la communication corporelle, d’échanger, prendre des nouvelles. Nous sommes stressés et fatigués de ne pas pouvoir nous entretenir physiquement de manière convenable. Nous sommes contents et rassurés lorsque nous apprenons que certains de nos partenaires professionnels nous soutiennent, que notre résidence à la Fabrique de Théâtre est reconduite à la saison prochaine, que notre date de première en 2021 est maintenue
pour le moment. Au delà de la crainte du virus, nous sommes anxieux quant au statut précaire des artistes et aux directives prises (ou pas) par le.s gouvernement.s pour les aider. Nous nous inquiétons de l’avenir de notre compagnie qui est toute jeune et qui on l’espère fortement réussira à sauter par dessus ces obstacles.
Notre force de résilience est toujours là, présente, et notre envie de créer, partager, sensibiliser reste intacte.
Affaire à suivre.
Barthélémy, pour Barjo&Cie